Circling – Interview de Lucie Baudon

Circling – Interview de Lucie Baudon

Circling – Interview de Lucie Baudon

Par Yves Baudon (Ympulsion) et Thomas Peaucelle (KAIROS-c2i)

Imaginer, développer et concrétiser de nouveaux projets, c’est l’ADN des entreprises high-tech et, la mode voudrait nous le faire oublier, des entreprises plus classiques ; elles sont les plus nombreuses.
Comment aligner les projets et les partager collectivement, à l’intérieur comme à l’extérieur, avec celui plus global de l’entreprise ? Comment s’y prendre pour aider l’entreprise qui « fait » à se transformer en entreprise agissante et consciente ?

Nous avons eu l’occasion d’expérimenter le « Circling » avec Lucie Baudon pendant un séminaire que nous organisions en juillet dernier. Débutant par une heure de cette pratique d’entrainement relationnel de groupe, les thèmes de la journée furent ensuite abordés avec fluidité, sérénité et les échanges nous engageaient à une réflexion concrète et maîtrisée.
Lucie organise et dirige des ateliers pour faciliter cette pratique émergente de communication appelée le Circling, qui se développe rapidement dans le monde depuis 2012. Des dirigeants et de nombreux managers aux Pays-Bas, en Norvège, aux Etats Unis, en Angleterre et au Danemark la pratiquent régulièrement pour développer leurs compétences relationnelles, leur présence, leur intelligence émotionnelle, leur leadership avec l’objectif de clarifier leur communication et fluidifier leurs projets.

Lucie, quel a été ton parcours et comment en es-tu arrivé à cette pratique ?

J’ai fait des études de communication, puis de management de projets à Paris 8 et à la Catho de Lille. Après avoir travaillé 5 ans dans la communication et l’évènementiel dans le secteur public et le secteur privé, je me suis mise en quête de sens.
Quelque chose d’essentiel me manquait.

Je me suis alors tournée vers la danse, que je pratique depuis toute petite, et l’alignement âme/corps/esprit qu’elle permet. Dans cette recherche j’ai aussi fait de nombreuses formations et ateliers qui m’ont inspirée jusqu’à ce que je découvre la pratique du « Circling » qui répondait à ce que j’attendais vraiment et m’a ouvert des portes que je ne soupçonnais pas.

Tu as fait des études classiques de management de projet, qu’apporte donc une telle pratique dans le cadre d’un projet ?

Que ce soit dans un environnement professionnel ou dans un environnement plus personnel, engageant l’énergie de plusieurs personnes, je vois souvent des difficultés qui pourraient être facilement évitées grâce à une communication claire et authentique.

La plupart des gens ont besoin d’être vus, entendus, reconnus et validés dans leur place et leur rôle au sein d’un groupe. Ce besoin est rarement satisfait et génère des incompréhensions, des dispersions inutiles qui ralentissent, voire détruisent un projet qui aurait pu voir le jour dans des conditions bien meilleures. Les jugements, critiques et projections sont trop souvent dites en aparté ou gardées pour soi alors que les exprimer directement aux personnes concernées pourrait fluidifier la bonne conduite du projet en révélant les « angles morts ». Souvent ceux qui auraient besoin d’aide n’osent pas la demander et ceux qui pourraient l’apporter n’osent pas la proposer.

Le « Circling » est une pratique simple à appliquer au quotidien afin d’évoluer sereinement. Elle permet de créer un espace pour aider chacun à développer son propre leadership et révéler les zones d’ombres. Elle invite à oser exprimer les peurs, les blocages, les frustrations, les attentes mais aussi les envies, les désirs, l’inspiration créative, la vision, tous présents dans la relation au projet et aux acteurs entre eux.

En plus de cette clarté et authenticité de connexion, le circling aide à développer l’habilité à diriger dans l’abandon, le « Surrender Leadership »

Qu’appelles-tu le « diriger dans l’abandon » et surtout qu’entends-tu par-là ?

Sans explication j’imagine que cela peut faire peur ! Contrairement à ce que vous pourriez éventuellement penser l’abandon n’est pas de la résignation ou une forme de laisser-aller. Bien au contraire, l’abandon est un engagement. L’engagement à vérifier à l’intérieur de soi ce qui est vivant. De se poser la question, de prendre le temps de sentir ce qu’il se passe en nous avant de prendre une décision.

Dans l’éducation occidentale et tout particulièrement dans le monde de l’entreprise, nous avons davantage tendance à être incité à faire, à réagir plutôt qu’à agir. Diriger, conduire dans l’abandon invite donc à agir avec sagesse et en accord avec son environnement. Cela peut vous sembler une perte de temps et pourtant c’est l’inverse.

Faire en niant la réalité c’est comme construire une maison sans vérifier si les fondations du terrain sont stables. Si ce n’est pas le cas il faudra rapidement revenir dessus, sans compter les dégâts occasionnés qui pourront demander une importante reprise en main voir obliger à détruire pour reconstruire.

Quand je m’engage sous cette forme, alors je peux être présente à ce qui est.
Faire n’est que vouloir ajouter des choses au réel tout en niant la réalité. Agir, c’est être là maintenant et avancer en conscience avec ce qui est.

Dans la danse c’est très clair ! Même avec une chorégraphie de base, si je ne m’abandonne pas à ce qui est dans le moment je ne réaliserai qu’un enchaînement technique de pas, déconnectés de la réalité de l’instant et du public. Je suis certaine que vous avez déjà observé certains artistes qui vous « hypnotisent » avec des gestes très simples, quand d’autres apparaissent fades malgré la réalisation de performances techniques extraordinaires.

Bien sûr je tiens à préciser que je n’exclus ni la technique, ni le passé, ni le futur. Bien au contraire, je pense que c’est un tout. Agir c’est aussi prendre en compte mes échecs, mes réussites, mes compétences, mes savoirs faire, ma vision du futur… Je dirais qu’agir c’est prendre en compte ce qui est dans ma conscience et de me sentir alignée dans ce que je pose comme action.

Pourquoi parles-tu de « Surrender leadership » et pas de leadership tout court ?

Parce que dans ma manière d’être avec le projet, je m’engage à exprimer ce que je vois, ce que j’ai envie de faire avancer, ce qui pour moi n’avance pas, tout en faisant confiance à l’intelligence du groupe et à la capacité de chacun à se positionner et apporter leur pierre à l’édifice.
Dans cette approche, je choisis de lâcher prise sur les choses que je ne peux pas maîtriser, que je ne peux pas contrôler. Je choisis d’avancer avec le projet en incluant les différentes perspectives, vulnérabilités, évènements qui gravitent autour du projet. Je choisis de m’ouvrir aux imprévus et de me laisser impacter avant de prendre une décision. Je choisis de faire évoluer ma structure pour innover, améliorer l’espace de liberté et de créativité nécessaire.
Cela veut parfois dire que je vais devoir prendre la décision de fermer certaines portes pour en ouvrir d’autres. Le projet évoluera peut-être en changeant la place de tout le monde et il est possible que certains quittent le navire.

Lorsque je « lâche prise », même si mon intention reste d’atteindre les objectifs définis, et la vision qui m’a amené à développer le projet, je choisis de m’ouvrir à une perspective plus large, à des choses que je n’aurais pas vues ou que je n’aurais pas prises en compte. C’est pour moi la richesse du « Surrender Leadership ».

Durant mon parcours j’ai testé plusieurs méthodes et techniques pour communiquer plus facilement mais je n’étais pas totalement convaincue. Je trouvais ces techniques limitantes et je me sentais séparée des personnes qui ne les utilisaient pas. Lorsque j’ai découvert le « Circling » j’ai été directement conquise parce que justement ce n’est ni une méthode, ni une technique mais une pratique, c’est là toute la différence. Elle est pertinente parce qu’elle permet d’approfondir autant l’aspect relationnel que celui de l’évolution du projet.

En ce moment, je vis une belle collaboration avec Julie Zeitline avec laquelle nous avons créé un jeu de carte « Bien-être » qui est sorti en librairie le 20 octobre dernier. Durant tout le processus de création nous avons utilisé cette pratique de communication claire et authentique, tant entre nous qu’avec la maison d’édition. Cela a fait de notre collaboration un espace de confiance mutuelle qui a généré une véritable entraide dans les moments difficiles. Nous avons eu le sentiment que ce projet avançait sans efforts. Forcément j’ai envie d’en faire d’autres avec elle parce que la relation que nous avons bâtie ensemble est seine et nourrissante.

D’où vient cette pratique ?

La pratique de circling telle que je l’ai apprise (parce qu’il y en a d’autres qui portent le même nom) est né de l’amitié de Sean Wilkinson et John Thompson. Deux coachs de sport d’élite anglais qui partagent depuis 2001 leurs recherches, connaissances et expériences en psychologie, spiritualité et philosophie.
C’est en 2008, qu’ils découvrent le circling, tel que le pratique Decker Kunov (Président de « the Authentic World » et co-fondateur du centre intégral de Boulder) et décident d’en faire tous les jours entre eux. De cet engagement quotidien est né le Circling qu’ils transmettent aujourd’hui avec leur ajout personnel du « Surrender Leadership ». Depuis 2012, avec un gros succès lors du Festival International de Venwoude (Neitherland), ils dirigent des évènements et formations aux quatre coins du monde.

Concrètement comment se déroule une séance de circling ?

Il y a deux principales structures possibles :

  • Une première où les participants sont invités à explorer dans une conscience de type méditative ce qui est dans l’instant, ce que cela fait d’être soi, dans le groupe, avec chaque personne présente dans la pièce.
  • Une autre où chacun est invité à focaliser son attention sur une personne, un projet ou encore une thématique et partager ce que cela fait d’être en connexion avec elle.

Chaque cercle est différent, c’est une co-création en lien avec le moment présent et l’influence de chaque personne. C’est une pratique de communication et pas une thérapie de groupe. Tout le monde a des problèmes et des maux différents selon le contexte, ce n’est qu’en l’assumant pleinement et en incluant ses propres difficultés dans sa communication à l’autre que les échanges se fluidifient. C’est très simple en soi mais aussi difficile à réaliser, sauf à s’y entrainer régulièrement pour développer des relations stables, saines et sereines avec soi comme avec les autres. C’est aussi une pratique extraordinaire pour développer des relations professionnelles conscientes.

En tant que coach, qu’est-ce que toi, Lucie, tu apportes de particulier dans cette pratique ?

Je crois d’abord qu’il s’agit d’une envie, celle d’aider les entreprises qui réalisent la nécessité de travailler en conscience. Contrairement aux méthodes et aux recettes que j’ai expérimentées, la pratique du Circling, parfois disruptive, responsabilise directement les collaborateurs par rapport à eux-mêmes et leur environnement.

Dans mon parcours je me suis moi-même beaucoup remise en question. Aujourd’hui je sais avoir développé des capacités à rester dans l’inconfort d’éventuels conflits et, grâce à mon expérience de la danse, j’intègre maintenant le mouvement et l’énergie qui permettent de révéler la communication non verbale.
Je suis capable d’être en empathie avec beaucoup de monde et il est important pour moi d’instaurer un climat de confiance, d’écoute et de partage, ce qu’en général les autres me renvoient positivement. En tant que coach, j’aime entraîner des personnes désireuses de vivre une vie riche de sens et améliorer leurs relations avec les autres.
Je dirais donc que ce que j’apporte de particulier c’est mon envie et ma volonté que chaque personne qui ne se sent pas à sa place puisse se remettre en question, accède à son aspiration profonde à titre individuel et du coup sache trouver sa position dans le collectif.

Pour en savoir plus :
– Site de Lucie : iame.me
– Le site de Circling Europe : circlingeurope.com
– Un article en anglais du magazine Forbes sur les bénéfices du circling en entreprise : forbes.com