L’Immobilier d’Entreprise en France, un grand « marché du dimanche » à rendre plus lisible

L’Immobilier d’Entreprise en France,  un grand « marché du dimanche » à rendre plus lisible

L’Immobilier d’Entreprise en France, un grand « marché du dimanche » à rendre plus lisible

Par Yves Baudon et Georges Autissier

La vision immobilière est un enjeu couramment sous-estimé, voire ignoré dans la stratégie de l’entreprise. Trop souvent reléguée au rang d’outil, elle est considérée comme un mal nécessaire alors qu’elle touche à la fois le bilan, l’organisation du travail et les ressources humaines. Quand il s’agit de se confronter aux contraintes administratives et légales, aux exigences des bailleurs, au flou et l’imprécision entretenus par les professionnels de l’immobilier, s’en préoccuper ne va pas de soi.

Un Constat

Le directeur immobilier, quand il existe, est hélas rarement membre du Comex. Ignorant son rôle capital l’organisation des groupes préfère renvoyer cette responsabilité soit au DAF, au directeur juridique ou encore au directeur des achats, soit encore plus directement aux Business Units.

L’actif immobilier est souvent vu par les PME comme un moyen de valorisation patrimonial du propriétaire de l’entreprise, et dans les groupes plus importants comme seul moyen à la disposition de l’activité quand dans les deux cas il a un impact direct sur les marges.

Le développement du cœur-business implique la création de nouvelles implantations immobilières nécessaires à l’activité. Non professionnalisées à l’intérieur de l’entreprise, les recherches de nouveaux sites sont alors confrontées, sans avoir les moyens de les anticiper (avec parfois des critères de recherche mal définis), aux réalités locales, aux freins administratifs et à la faible valeur ajoutée d’informations imprécises fournis par les différents acteurs de l’immobilier.

Les « professionnels du métiers » profitent donc de cet état de fait pour entretenir le flou et tenir à distance les acteurs concernés. En relayant de l’information partielle et de grandes statistiques rarement étayées et aisément vérifiables, ils sont moins animés par la nécessité d’apporter un service éclairant à leurs clients que par la volonté de « placer » ce qu’ils ont « en boutique ».

Les nouvelles technologies, quasiment absentes du dispositif, permettent pourtant de changer l’approche du sujet par l’agrégation d’informations disponibles au sein des différents départements (silos) de l’Entreprise ou d’informations disponibles hors de l’entreprise avec notamment l’arrivée des Open Data.

Les éléments de comparaisons pertinents sont à portée de main et l’absence de transparence entretenue du marché permet l’apparition de nouveaux acteurs sur ce secteur. Pour preuve, BPI France, en novembre 2016 a jugé qu’après les secteurs du transport, du tourisme et de la publicité, celui de l’immobilier est propice à une disruption des services. BPI France a donc recentré autour du secteur de l’immobilier les activités de son incubateur de start-ups, existant depuis 3 ans. En effet, l’incomplétude de l’offre et l’existence de rentes de situation, couplées à de nouvelles façons de traiter les informations disponibles, sont favorables à la création de nouveaux business modèles.

Professionnaliser les actifs immobiliers au sein de l’entreprise

L’actif immobilier est au cœur de l’entreprise et lui permet d’exercer son activité. Il a un impact direct sur le management, sur l’organisation globale des métiers (process spécifiques) et le dialogue social. Parce que l’Entreprise fait des offres engageantes, ses actifs immobiliers doivent être précis et optimisés pour être compétitifs. L’approche opérationnelle et bilantielle est nécessairement celle d’un « mètre carré efficace » par rapport à l’activité qu’on y exerce. (Ergonomie et fluidité des échanges, coûts réels et induits, optimisation des coûts énergétiques, confort de l’utilisateur, accès et plan transport)

La concurrence est telle qu’il est nécessaire d’avoir une lecture fine et réactive des implantations possibles dans un contexte de confusion de l’offre, du manque de transparence des services du secteur Immobilier d’Entreprise et des informations disponibles sans grande valeur ajoutée.

De plus la souplesse recherchée mais aussi la protection industrielle de l’activité impose un arbitrage entre Opex et Capex et donc la décision, le cas échéant, d’avoir recours à une location plutôt qu’à un investissement. Et encore, dans nombre de cas le Bail commercial historique (3/6/9) * ne convient plus aux marchés des entreprises soumises par leurs clients à la pression d’un temps plus court. Le recours à des baux précaires est, de fait, de plus en plus courant.
*Baux 3/6/9 vs bail précaire limité à 3 ans max. non renouvelable

Souvent méfiantes, faute de lisibilité tant interne qu’externe, les entreprises préfèrent ne pas investir et se contraignent à vivre plus longtemps dans leur existant.

En outre faute d’organisation dédiée dans l’entreprise et de règles comptable similaire pour des situations proches, propriété vs location, il est difficile d’évaluer et chiffrer le poids de la charge Immobilière par rapport au CA ou au total du bilan et donc d’en mesurer l’impact.
Pour les biens en pleine propriété, le montant de l’immobilisation et de son amortissement figure au bilan. Par contre en cas de location, aucune information relative aux engagements pris par l’entreprise sur la durée du bail ne figure au bilan mais seul le montant de la location annuelle dans le compte de résultat.
Pour tenter de clarifier ces engagements en cas de location, une nouvelle norme financière est en préparation pour 2019, l’IFRS 16 (applicable aux entreprises cotées qui ont fait le choix d’appliquer les normes IFRS).
Cette nouvelle norme prévoit comme principe de constater une dette au passif du bilan de l’entreprise couvrant les engagements financiers pris sur la durée du bail compensée par un droit d’utilisation inscrit à l’actif du bilan qui fera l’objet d’un amortissement dans le compte de résultat.
Dans cette configuration, la connaissance précise et complète de l’ensemble du périmètre immobilier devient un impératif.

Dans ce qu’on pourrait comparer à une sorte de grand « marché du dimanche », même s’il revêt une apparence d’organisation entre Offre et Demande, comment les acteurs économiques que sont les Preneurs, les Bailleurs et les Investisseurs peuvent-ils donner une véritable lisibilité à l’ensemble et délivrer le service de qualité attendu par tous les directeurs immobiliers ?

Les freins du système sont nombreux dans un environnement complexe à appréhender

Soumises à la pression de leurs marchés, les entreprises ont de grandes difficultés à anticiper les réponses à leurs besoins alors qu’elles sont dans la nécessité d’être réactives.

1. Un temps administratif et légal inadapté

  • Des délais de permiting trop longs ajoutés à la durée des travaux : impact 2 ans min.
  • Des autorisations d’exploiter trop lourdes et soumises à lecture parfois dogmatique
  • Des autorisations environnementales et sociales souvent contraignantes
  • Une durée légale des baux inadaptée aux contraintes commerciales des entreprises

 

2. Un temps politique trop « clientéliste »

  • Le manque de lisibilité du potentiel des sites industriels dans le temps avec des exigences locales inadaptées : exclusion de certaines activités, prix du foncier, délais d’aménagement, accès routier et transport en commun
  • L’inquiétude des collectivités au regard de la pérennité des sites : emplois, trafics camions, visibilité et santé économique des entreprises accueillies
  • Une commercialisation par les Agences de Développement trop longue
  • Une contradiction des élus entre leur attente de rentrées économiques, leur volonté d’attractivité des bassins d’emploi et le coût du foncier et/ou de l’existant, mais un tapis rouge parfois déroulé à « ce qui brille » ou à ce qui leur permet de « communiquer » simplement sur leurs actions en faveur du développement économique local
  • La Problématique des friches industrielles et leurs réaffectations

 

3. Des opérateurs économiques (Agents immobiliers) qui préservent leurs niches

  • Une apparence de « sachants » mais des comportements flous et des démarches commerciales imprécises
  • Une information sur les fonciers disponibles « mise au secret » pour préserver les honoraires devant résulter des futures négociations
  • Sur leurs sites internet des données sans grande valeur ajoutée même si les sources d’information sur les biens se multiplient avec l’arrivée des Open Data et de nouveaux acteurs disruptifs
  • Des honoraires souvent perçus des deux côtés, tant preneur que bailleur, et donc une relative « in-objectivité » dans les relations
  • Des actions cherchant plus à placer des produits que de temps consacré à comprendre et challenger le besoin des clients, aidés en cela par des demandes souvent imprécises, une approche trop intuitive et un manque d’exigence objective

 

4. Un manque de partage et de disponibilité de l’information dans l’entreprise

  • Une gouvernance masquée des enjeux immobiliers
  • Une problématique sociale sensible tenant au secret de l’information vis-à-vis des organisations syndicales en interne
  • Des données obsolètes et des informations pertinentes non rassemblées, ni partagées, quand elles sont cruciales dans la prise de décision
  • Disponible au niveau de la direction juridique (baux), dans les logiciels comptables et différents supports Excel ou papier, une information insuffisamment exploitée, non corrélée
  • Un volume de données qui tend à se massifier, mais dont l’identification, la centralisation et l’exploitation restent un sujet souvent non traité, malgré de nouveaux outils de partage

 

5. Des enjeux différents selon la nature des bailleurs

  • Une approche capitalistique des « petits » propriétaires privés qui recherchent une sécurité et donc une relation et un partenariat long-terme avec leurs preneurs
  • Une vision strictement financière des grands Investisseurs/bailleurs et plus globalement les foncières (la sémantique Actif est directement issue de l’approche bilantiel). Les portefeuilles d’actifs immobiliers sont régulièrement revendus dans leur globalité après valorisation de leurs flux financiers (Cf. Blackstone qui vient de céder Logicor à China Investment Corporation après, il y a juste 5 ans, le rachat du portefeuille de GE). Leur première préoccupation est d’établir ou de rétablir un flux global dans un temps court d’où des marges de négociation plus grandes dans la prise à bail
  • Des acteurs intermédiaires, comme les promoteurs immobiliers, qui conçoivent parfois des produits « type » inadaptés aux besoins des preneurs avec une valeur de loyer déconnectée de celle attendue au prétexte d’une soi-disant Valeur de Marché

 

Que manque-t-il au marché pour « libérer les énergies » ?

Les investissements et leur capacité à être reclassés, adaptés plus facilement, peuvent-ils être de nature à rassurer les financiers et les aider à prendre aussi une part de risque dans la durée des loyers sans les reporter sur d’autres ?

La confiance générale dans l’activité économique peut-elle générer de nouveaux projets « en blanc », quand aujourd’hui de nombreux projets « en gris » attendent preneur ? (Investisseur titré et permiting purgé – délais de deux ans après obtention du permis. Attention aussi à la durée des options)

Les banques, financeurs des investissements, peuvent-elles amender leurs profils de risque et réfléchir à d’autres types de garanties pour permettre de réétalonner la durée des baux ? (Réduction de 6 mois des périodes triennales ? Durée d’engagement ne couvrant pas la période complète d’amortissement de l’actif ?)

L’activité des entreprises évolue plus vite que l’immobilier qui ne sait pas gérer le temps court. En raison de la transformation des métiers ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus tout à fait demain. Les puissants changements résultant de la vente en ligne transforment l’utilisation des bâtiments (messagerie, entrepôts gigantesques, plan transport) et oblige à remettre en question le modèle du Retail. Comment alors rétablir « l’interchangeabilité » entre l’offre et la demande ?

Pour conclure

Les preneurs sont en quête d’un accès large à l’information alors qu’il n’existe pas encore de véritables collecteurs des données hors les différents sites internet, souvent incomplets, des agents immobiliers.
Il faut à la fois être rompu aux nouvelles technologies pour « pêcher dans différentes rivières » (Données internes et Open Data), sans réelle convergence des informations ni des formats de données et avoir un œil averti pour identifier les données pertinentes, porteuses de sens et de valeur opérationnelle. Un mixte rarement présent et/ou disponible en entreprise, mais que notre expérience nous a appris à appréhender.

Ympulsion et Altimust, deux sociétés partenaires et fondatrices du réseau Grand Network interviennent de la mise en place de la stratégie actifs à la mise en œuvre de vos projets